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4 janvier 2021Fin 2019, l’Union européenne annonçait son intention d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Si on ne peut que saluer cet objectif, il n’en reste pas moins qu’à cette heure, l’Union européenne semble assez esseulée dans sa volonté de mener de telles politiques climatiques. Pour éviter qu’elle ne se tire une balle dans le pied, elle propose d’accompagner l’objectif de la neutralité carbone d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
L’idée poursuivie avec ce MACF est la suivante: pour éviter de défavoriser les producteurs européens soumis à d’indispensables exigences climatiques, une «taxe» serait prélevée sur le contenu carbone de produits d’exportateurs extra-européens. Comment la mettre en place et à quoi serviront les moyens dégagés? Nous avons interrogé à ce sujet Benjamin Denis, représentant d’ IndustriAll Global Union, la fédération syndicale qui représente 50 millions de travailleurs dans le monde.
Pourquoi un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières?
Il ne fait désormais plus de doutes qu’en matière climatique, l’horloge tourne et que les dérèglements (incendies à répétition, vagues de chaleur, disparition d’une grosse partie de la faune…) s’accentuent. C’est dans ce contexte que l’Union européenne a annoncé, en décembre 2019, son ambition d’être neutre en carbone en 2050. Rappelons toutefois que si l’objectif semble ambitieux, le Giec mentionne que cela ne sera pas suffisant pour parvenir à limiter la hausse des températures à 1,5 degré.
Par ailleurs, si la transition vers une économie bas carbone est nécessaire rapidement, il n’en demeure pas moins qu’une question majeure va se poser: comment continuer à produire ce dont nous avons besoin tout en visant la neutralité carbone en 2050? Si on veut que les secteurs actuellement intensifs en énergie et en carbone atteignent 0% d’émissions en 2050, d’autres modes de production (économie circulaire, enfouissement du CO2…) sont indispensables.
Or, à ce jour, un écueil de taille subsiste toujours: ces modes de production n’existent pas au niveau industriel et à grande échelle. Qui plus est, les technologies qui seront mises en place pour atteindre les objectifs assignés vont engendrer des coûts importants à court terme.
Une des solutions réside dans l’augmentation du prix de la tonne de CO²dans le système d’échange de quotas d’émissions de CO² (SEQE) de l’Union européenne. Or, si ce prix évolue à la hausse, cela rend les produits européens moins «compétitifs» puisque leur prix augmente. Tout profit donc pour d’autres pays où la réglementation environnementale n’est pas aussi forte et où le prix relatif des biens produits deviendra dès lors plus intéressant.
C’est pour éviter ce phénomène et pour répondre à l’urgence climatique que la mise en place d’un mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Union européenne est à l’étude.
Comment mettre en place pareil mécanisme?
Dans un monde idéal, ce mécanisme devrait voir le jour au niveau mondial, mais l’Accord de Paris n’a pas abouti à pareil accord ni même à des obligations légales contraignantes. Vu cette absence de volonté d’aboutir au niveau international, l’Union européenne tente d’avancer seule.
Se pose alors la question de la forme que prendrait ce mécanisme. Compte tenu de la difficulté d’avancer en matière de fiscalité au niveau européen (puisque l’unanimité des États membres est requise en la matière), un mécanisme fiscal (qui pourtant serait plus simple et plus lisible) semble relever de l’impossible. L’alternative serait alors d’inclure dans le mécanisme SEQE les importateurs hors UE.
Quel que soit le type de mécanisme finalement retenu au niveau européen, il soulève diverses difficultés:
- il doit être compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC);
- il faut s’attendre à d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de pays partenaires commerciaux;
- il nécessite un accès aux données pour calculer l’empreinte carbone des produits importés;
- il faut délimiter le spectre du mécanisme (vise-t-on tous les produits ou juste quelques produits très intensifs en carbone?);
- couvre-t-on aussi les exportations européennes?
Il faudra assurément répondre à toutes ces difficultés si on veut voir advenir un MCAF efficace et crédible.
À ce stade, une précaution oratoire s’impose. En matière commerciale, la politique climatique n’est qu’un élément parmi d’autres et le MACF ne peut, à lui seul, résoudre tous les problèmes. Il ne constitue clairement pas la panacée.
D’autres instruments doivent être mis sur pied (normes environnementales, sociales…) pour déployer l’économie bas carbone et responsabiliser les entreprises (cf. devoir de vigilance). Le MACF va juste permettre de corriger une distorsion au niveau des échanges internationaux qui s’installera si seule l’Union européenne prend des mesures pro-climatiques.
Mais il faut être bien conscient d’une chose: à défaut de MACF, on va induire ou accélérer la désindustrialisation de certains secteurs de l’industrie lourde. Et on parle là de 6 à 7 millions de travailleurs dans l’Union européenne.
Attention: ce n’est pas faire de l’économie pour de l’économie mais c’est aussi la défense de valeurs, d’un modèle de société avec une sécurité sociale forte. Au-delà du cataclysme social que provoquerait la disparation de 6 à 7 millions d’emplois dans l’Union européenne, ce sont aussi autant de cotisations sociales des travailleurs qui disparaissent.
La mise en place d’un tel mécanisme revient aussi à entamer une vraie réflexion sur l’autonomie industrielle de l’UE, dont le Covid a montré toute l’importance. Pour le dire autrement, il s’agit de se donner les moyens d’aboutir à plus de prospérité au niveau européen pour mieux la partager.
À quoi seront affectés les moyens dégagés par le mécanisme mis en place?
Il faut tout d’abord rappeler que 750 milliards d’euros vont être empruntés par l’Union européenne en vue notamment de construire un nouveau fonds pour la transition. Mais comme il s’agit d’un emprunt, il faudra rembourser. L’idée des institutions européennes, c’est dès lors de créer de nouvelles rentrées financières. Le MCAF est une source parmi d’autres. Toutefois, vu qu’on ne sait pas encore ce que couvrira le MCAF, on ne peut pas définir clairement les recettes qu’il pourrait générer.
Cela dit, il faudra définir des critères clairs et stricts pour que ces 750 milliards servent réellement à financer des projets qui vont permettre à l’UE d’être neutre en carbone en 2050 et non permettre aux États membres de l’UE de faire tout et n’importe quoi avec ces fonds. Il faut donc éviter de faire du MCAF une vache à lait.
L’idée, c’est vraiment de financer l’action climatique au niveau européen et international et de permettre la transition de secteurs lourds vers une nécessaire économie bas carbone. À l’inverse, vous l’aurez compris, le MCAF ne doit donc pas être un chèque en blanc qui permettrait aux grandes entreprises et multinationales de se dédouaner de leurs responsabilités environnementales.
Enfin, il est important que les travailleurs puissent se servir de ces enjeux pour interpeller leurs directions notamment en matière d’innovation industrielle et inscrire leurs secteurs dans une économie bas carbone, urgente et incontournable pour répondre et s’inscrire durablement dans les politiques climatiques indispensables de l’Union européenne.