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13 novembre 2024Dès 2027, la « taxe carbone » européenne ETS2 se répercutera sur les factures de chauffage et de carburant des ménages qui ont recours aux énergies fossiles. Elle va donc inévitablement impacter plus fortement les publics précarisés, ceux qui ne disposent pas des moyens de contourner l’augmentation de la facture d’énergie et du prix à la pompe.
415 milliards d’euros pour sauver la Belgique ! Mais qui va payer la transition ? Selon une étude publiée par le bureau Mc Kinsey, c’est la somme qu’il faudra trouver pour sauver la Belgique de sa dépendance aux énergies fossiles.
Le nouveau système ETS2 n’est pas prêt de nous sauver. Il s’agit d’une des mesures mises en place par l’Union Européenne pour tenter de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour bien comprendre ce qu’il implique, on revient sur quelques notions.
Accrochez-vous, on vous explique tout !
Pour rappel, dans quel cadre sommes-nous ? L’UE s’est engagée à respecter l’Accord de Paris signé en 2015 lors de la COP21. Via cet accord juridiquement contraignant, les 195 états qui l’ont ratifié (dont l’UE) s’engagent à maintenir l’élévation de la température de la planète « nettement en dessous » de 2 °C et de poursuivre l’action menée pour limiter cette hausse à 1,5 °C.
+2 °, +1.5°, qu’est-ce que ça veut dire ?
Quand on parle de réchauffement climatique, on parle inévitablement de gaz à effet de serre, qui sont des gaz qui ont la capacité d’amplifier le phénomène naturel d’effet de serre. D’ailleurs, heureusement que l’effet de serre existe ! Sinon, nous ne serions probablement pas là. La température moyenne globale de la planète serait de -17° ! Grâce à cet effet de serre naturel, nous nous situons à une température moyenne globale de la planète à +15°.
Voici un petit graphique simplifié pour comprendre le mécanisme.
Source : Convention citoyenne pour le climat.
L’activité humaine (l’industrie, l’agriculture, le transport, l’utilisation des bâtiments, la déforestation), utilise des énergies fossiles, que sont le charbon, le pétrole et le gaz.
Pour pouvoir utiliser ces énergies fossiles, il faut les brûler. C’est cette combustion qui produit et émet des gaz à effet de serre (GES) qui, eux, ont le pouvoir de réchauffer le climat en emprisonnant l’énergie envoyée par le soleil.
Puisque la « couche » de gaz à effet de serre est de plus en plus dense, l’énergie, et donc la chaleur du soleil, a plus de mal à ressortir de la surface de la planète. On constate alors une augmentation de la température globale de la planète.
Actuellement, les conséquences de l’activité humaine nous a mené à un réchauffement d’environ +1.1 degré au niveau mondial. Nous sommes donc arrivés à une température moyenne globale de la terre de 16.1 degrés Celsius.
Puisque c’est une moyenne, on comprend aisément que certaines régions du globe puissent être plus atteintes que d’autres par les hausses des températures, comme c’est le cas de la Belgique, qui enregistre une hausse de +1,9°.
Voici un graphique pour l’illustrer.
Ces hausses de températures ne sont pas sans conséquences. Perturbations du cycle de l’eau, sécheresse, canicules, pollutions des sols, des eaux et de l’air, bref, chaque dixième de degré que nous ne dépasserons pas fera la différence.
Quelles stratégies pour tenter de répondre à ces enjeux de réchauffement climatique ?
Vous l’aurez bien compris, les émissions de GES étant responsables des dérèglements climatiques, une baisse de ces dernières s’impose.
Pour répondre aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris (maintenir l’augmentation de la température entre +1,5° et +2°), l’UE s’est constitué en 2019 une feuille de route que l’on appelle Green Deal Européen.
L’objectif principal du Green Deal est d’atteindre la neutralité climatique en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de 55% les émissions de Co2 d’ici 2030.
Pour info, les émissions de Co2 au sein de l’UE ont évolué comme tel depuis les années 90 :
Source : Agence européenne de l’Environnement.
On constate que depuis 1990, les émissions de GES ont baissé d’environ 32%. Nous nous approchons de l’objectif de -55% que l’UE s’est fixé pour 2030.
Même si ces réductions d’émissions que nous constatons depuis 1990 sont imputables à la fuite de certaines activités industrielles (notamment celles liées à la sidérurgie), on peut tout de même affirmer que les efforts en matière d’efficacité énergétique, le déploiement des énergies renouvelables ainsi que le système d’échange de quotas de Co2 ont permis une réduction des émissions.
Le système d’échange de quotas de Co2
Depuis 2005, les entreprises situées sur le territoires de l’UE entrant dans les conditions sont soumises au système d’échange de quotas de Co2. Le système englobe environ 10 000 entreprises, et il concerne les secteurs de la production de chaleur et d’électricité, les industries à forte intensité énergétique telles que les raffineries, les aciéries, la production de ciment, de verre et de papier, ainsi que l’aviation commerciale.
Pour faire simple : l’UE décide que les entreprises soumises au système devront payer pour pouvoir polluer. Pour cela, elles devront acheter des droits de polluer, qui correspondent à la quantité d’émissions de GES qu’elles émettent à la production. Ces droits de polluer sont en fait matérialisés par des quotas.
Exemple simplifié pour illustrer :
Imaginons que je produis du ciment et que j’émets environs 10 tonnes de Co2 par an. Je dois alors acheter 10 quotas, valant chacun 1 tonne d’équivalent Co2. Si j’arrive à émettre moins de GES cette année-là, alors je peux revendre mes quotas excédentaires via le système d’échange de quotas. Si j’ai émis plus que prévu cette année-là, alors je dois acheter des quotas d’émissions supplémentaires.
Ce système a pour vocation d‘encourager les producteurs contraints au système de diminuer leurs émissions, en investissant par exemple dans des techniques qui utilisent moins d’énergies fossiles.
D’année en année, les quotas disponibles sur le marché diminuent, et cela fait alors pression sur les prix des quotas qui augmentent – moins de quotas à se partager, les quotas deviennent plus « rares », et donc leur prix augmente.
On comprend alors pourquoi certaines industries lourdes autrefois situées sur le territoire européen ont décidé de délocaliser l’activité – et donc les emplois, afin de ne plus être soumises à ces quotas d’émissions.
Voici la théorie. Dans la pratique, on constate que beaucoup d’Etats de l’UE, par peur de voir l’activité économique se délocaliser en dehors de l’UE, décident d’octroyer des quotas gratuits à ces entreprises soumises au système pour qu’elles restent sur le territoire. C’est donc de l’argent public, financé par les citoyennes et citoyens belges, qui financent le droit de polluer de ces entreprises.
C’est quoi alors, l’ETS2 ?
Maintenant que nous avons bien compris le fonctionnement du système ETS, on peut plus facilement comprendre comment fonctionne le nouveau système ETS, nommé ETS2.
Le principe reste donc le même que le système d’échange de quotas de CO2 (ETS) que nous connaissons déjà, sauf qu’il s’applique à de nouveaux secteurs : il couvre les émissions de CO2 issues de la consommation de combustibles dans les bâtiments, le transport routier et le secteur des entreprises qui ne sont pas déjà soumises à l’ETS.
Pour comprendre une des raisons de l’instauration de ce nouveau système ETS élargi aux secteurs du transport routier et du chauffage résidentiel, on peut observer ce graphique des émissions de Co2 par secteurs, en Belgique :
Lorsque l’on enlève les secteurs industriels qui sont déjà en partie couverts par le système ETS classique, on constate que les secteurs restant les plus polluants sont en fait le transport et le chauffage résidentiels.
Avec le nouveau système ETS2, les fournisseurs de carburants seront tenus dorénavant de surveiller et de déclarer annuellement les émissions correspondant aux quantités de combustibles qu’ils livrent aux consommateurs finaux. Au plus ils livreront des carburants, au plus ils épuiseront les quotas de CO2 dont ils disposent. Dès lors, si « trop » de combustible est livré, alors ils devront acheter de nouveaux quotas, ce qui aura pour effet d’augmenter le prix de ces derniers.
En bref, à partir de 2027, il deviendra de plus en plus cher de se chauffer et de se déplacer, puisque la taxe se répercutera sur les prix finaux que payent les consommateurs.
Mais quel impact sur la facture d’énergie des ménages ?
Si vous avez un logement bien isolé, éventuellement des panneaux photovoltaïques, que vous vous déplacez en voiture électrique ou encore mieux, en train, alors vous avez de la chance ! Vous « contournez » la taxe et c’est tant mieux pour vous.
Malheureusement, tout le monde n’a pas la chance d’être préparé à ce nouveau système ETS2.
En Wallonie, les chiffres sont affolants. On comptabilise plus de 21% des ménages comme vivant en situation de précarité énergétique, c’est-à-dire dont les dépenses énergétiques sont jugées «anormalement» élevées par rapport à leurs revenus disponibles déduction faite du coût du logement.
Les personnes vivant une telle situation n’ont pas les moyens de contourner la taxe. En effet, si vous êtes dépendant de la voiture pour vous déplacer, que vous n’êtes pas propriétaire de votre logement mal isolé ou que vous l’êtes mais n’avez pas la possibilité financière d’entamer des travaux de rénovation énergétique, alors vous risquez de voir votre facture d’énergie augmenter d’environ 130 euros par an (pour un ménage moyen et dans le cas où le prix du carbone tourne autour des 45 euros/tonne) .
C’est donc ici que les inégalités se creusent !
A quoi va servir cette taxe ?
On peut estimer que ces recettes totales générées par le système s’élèveront à 5,7 milliards d’euros entre 2026 et 2032.
L’octroi de cet argent est conditionné à des impératifs sociaux, ce qui signifie que ce que la Belgique recevra et répartira entre les niveaux de pouvoirs compétents devra servir à des investissements justes dans la transition du chauffage et de la mobilité. A savoir : décarboner le chauffage/refroidissement des bâtiments, supporter les ménages avec les plus bas revenus qui vivent dans les bâtiments les moins bien isolés, accélérer l’introduction de « véhicules zéro émission » et les infrastructures de recharge liées et enfin, encourager le shift vers le transport public et la multimodalité…
Qu’en pensent les organisations syndicales et de consommateurs ?
Il est évidemment essentiel de décarboner notre économie. Nous sommes dépendants des énergies fossiles pour la production et la consommation de biens et de services, et nous savons que cela n’est pas une bonne chose : en effet, nous dépendons du reste du monde pour produire dans l’Union européenne.
La crise Covid a démontré la fragilité du système mondialisé. Il est donc plus que souhaitable que nous relocalisions la production d’énergie.
Cette énergie doit évidemment être décarbonée pour éviter que les mécanismes fiscaux tels que les systèmes d’échange de quotas de Co2 ne coûtent trop aux entreprises situées sur le territoire et ainsi éviter les délocalisations.
Nous soutenons donc évidemment la transition de notre modèle économique actuel capitaliste vers un autre modèle qui soit décarboné.
Par ailleurs, il n’est plus acceptable de voir les richesses mondiales se concentrer aux mains des plus riches. Dans un modèle qui a besoin des énergies fossiles pour vivre, la détention de capital est alors par nature carbonée.
Il n’est pas acceptable non plus de constater que ceux qui souffrent le plus des dégradations environnementales sont ceux qui y contribuent le moins. Nous pensons que le système ETS2 risque d’accroître ces inégalités, puisqu’il fera payer plus à ceux qui n’ont pas les moyens d’investir dans une mobilité ou un logement plus propre.
En effet, il est peu probable qu’une taxe encourage ceux qui n’ont pas les moyens de contourner la taxe. Il est aussi peu probable que les personnes aisées décident de changer leur comportement à cause d’une taxe qui ne les atteindra que peu.
C’est pour cela que nous appelons à la concertation sur la gestion des recettes fiscales dégagées de ce-dit système. Le dialogue entre les pouvoirs publics et les principaux acteurs de la société (en ce compris les syndicats évidemment) reste essentiel pour veiller à une gestion juste et efficace des recettes.
Il est également essentiel que les pouvoirs publics reprennent un rôle dans la gestion des marchés publics de l’énergie afin de limiter les dégâts que sa libéralisation a engendré.
Voici donc deux propositions concrètes (réfléchies conjointement par la CSC et la FGTB wallonnes, avec l’Association Belge de Recherche et d’Expertise des Organisations de Consommateurs, CANOPEA, le RWADÉ ainsi que le RWLP) :
- exemption de la taxe pour les ménages qui sont sous le statut BIM ;
- investissement dans la rénovation des bâtiments (réseaux de chaleur ou rénovation par quartier) en donnant la priorité aux quartiers défavorisés.
Bref, 415 milliards, on n’y est pas encore !
Pour conclure, bien que les recettes des ETS puisse aider à financer la transition, il est sur que cela ne sera pas suffisant.
Quand on parle de transition, il ne faut pas penser que l’on pourra « verdir » le capitalisme. L’idée n’est pas de « transitionner dans le modèle », mais plutôt de « transitionner d’un modèle (extractiviste, capitaliste et productiviste) à un autre », qui soit lui, juste et durable.
Un argument pour convaincre de se bouger : le coût de l’inaction est 5 fois plus élevé que celui de l’action. Cela veut dire qu’1 euro qui ne sera pas investi dans la transition coûtera 5 euros (et donc potentiellement à la collectivité). Il n’est pas encore trop tard pour agir sur des dixièmes de degré, alors ne perdons pas espoir.
Nous aurons plus que jamais besoin d’investissements, qu’ils soient publics ou privés, afin de limiter les dégâts liés aux dégradations environnementales.